Prendre une bonne correction
Prendre une bonne correction
Oui, il ou elle vous connait mieux que votre médecin. Vos points faibles, vos lacunes, votre inculture, votre flemme abyssale, tout lui est révélé. Vous vous trouvez à poil.
Retour de manuscrit annoté. Avant de l’envoyer en correction pourtant, ce n’est pas d’avoir manqué d’effort, ne serait-ce que pour laisser moisir à l’ombre tous vos défauts, ceux qu’un écrivain ne doit pas avoir. Ne dites jamais que vous écrivez si vous n’êtes pas un Bescherelle ambulant, car vous passerez dès les quelques premières questions exactement pour ce que vous êtes, un ignare, un bébé qui n’est rien sans sa correctrice.
Le mail brille comme une affaire radioactive dans la boite, pièce jointe corrigée. Les pronostics les plus pessimistes évoquent une vingtaine, allez, une petite cinquantaine d’annotations, au pire, pour un texte entre 30 et 40 000 mots. Tout confondu, ortho-grammairo-typo et tous les autres trucs qui se complaisent à fauter dans votre dos de créatif. 60, max.
Deux jours passent, double-clic : 683 modifications. 446 insertions, 174 suppressions, 2 mises en formes, 61 commentaires dont certains pour rassurer l’auteur en décomposition.
Vous avez envie de vous retrouver comme ça ?
Sachez que votre envie ne compte pas, vous devez le faire.
Oui, c’est obligatoire pour vous et respecter votre supposée sagesse qui commande de donner beaucoup plus de temps que prévu à votre texte. Le faire aussi par respect pour vos lectrices et lecteurs qui attendent à juste titre que l’écrivain fauché travaille dur à défaut de s’enrichir. Pour vous-même, c’est la classe internationale de produire et publier un texte impeccable.
Soyez transparent avec le reste du monde, mettez en avant votre correctrice, votre correcteur, ces machines à lire surcompétentes, sans doute atteintes d’un quelque chose de particulier qui en fait des usines à générosité. Dites-le, donnez son nom, cette personne est indéniablement et irrémédiablement associée à votre texte.
Où sont les noms des correctrices et correcteurs dans les livres que nous lisons, dans la presse ? Déléguer vous grandit, ne pas tout savoir est excellent pour la santé mentale.
Le prix ? Quel prix ? De quoi vous parlez ? Quel prix peut avoir une écoute sans limites, un respect nuancé et infini d’un style ou d’une intention. Quel prix pour la cohérence d’un texte ? Imaginer que vous pourrez parvenir tout seul à un résultat parfait est une folie.
683 modifications, vous vous souvenez ? C’est le résultat après avoir mis tout le paquet, fait de son mieux, travaillé fatigué, mentalement confus, louchant sur le joli fond en passant à côté d’une grossièreté de forme, avoir essoré Antidote, Word et toute la bande. Et c’est un minimum.
Vous passez sous la brosse à dents avant de laisser le dentiste se pencher sur votre intériorité. Vous faites un tour sous la douche avant de passer entre les doigts de votre docteur préféré. Soignez votre texte jusqu’à la moelle avant de le livrer à une bonne correction.
Car ce n’est qu’une étape. Celle qui voit s’envoler votre ego, mais qui vous pousse dans le filet doux de la compétence, du savoir et d’une certaine intelligence pédagogique qui fait que pour la première fois vous vous lirez. Vous êtes écrivain, rédacteur, rien d’autres.
Vous êtes auteur et correcteur ? je vous entends d’ici faire le malin, vous n’y arriverez pas !
Une fois passé dans leurs saintes mains, facile la réponse aux questions techniques sous lesquelles on adore ensevelir le gratte-papier omnipotent que vous n’êtes pas, que je ne serai jamais : demandez à ma correctrice, voyez avec Isabelle, elle est géniale !
Nous bouclons ensemble notre troisième livre.
Quelquefois je rêve d’écrire, rien que pour le plaisir d’en prendre une bonne.